En architecture, la frugalité est régulièrement abordée et mise en œuvre dans ses différents aspects de manière dissociée ou partielle : énergie, ressources, foncier, niveau de technicité, etc. Cette approche reflète notre vision sectorisée et spécialisée du monde, ainsi qu’une certaine tendance traiter les symptômes plutôt que l’origine des choses. Une approche holistique offre un niveau de frugalité plus élevé.
Nous savons que tout mètre carré construit, aussi vertueux soit-il en termes de consommation d’énergie et de matériaux d’origine biologique, ne compensera pas les dépenses énergétiques (fonctionnement, production de Co2, systèmes d’extraction, transports et techniciens mis en œuvre) nécessaires à son mise en œuvre, si elle a été construite inutilement. Cette consommation excessive d’espace bâti a un effet négatif sur toute la production architecturale et sur notre environnement immédiat et global.
Cette évidence soulève la question suivante : les mètres carrés que je construis sont-ils vraiment utiles? Autrement dit, il faut repenser notre façon d’habiter et d’utiliser l’espace pour éviter le gaspillage dont l’obligation vient d’être inscrite dans la loi.
Réévaluer les surfaces vers le bas
En architecture, la transition écologique implique également une réduction de la pression anthropique sur le milieu, notamment le sable, dont le secteur de la construction est particulièrement vorace, et dont l’épuisement des ressources contribue notamment à l’érosion côtière. Elle commence inévitablement par une introspection sur nos usages et doit aboutir à la réévaluation la plus précise des surfaces à construire.
Cette nécessaire réévaluation à la baisse de nos besoins apparaît comme un préalable indispensable à toute démarche frugale. Comme dans toutes nos consommations, se demander ce dont nous avons vraiment besoin est fondamental pour ne pas continuer sur la voie du consumérisme des mètres carrés, dicté par notre insatiable désir de confort, par la représentation sociale qui se nourrit de la mode à laquelle l’habitat n’y échappe pas.
Bien que ce besoin s’impose à tous, son degré de priorité est généralement ignoré du public et ambigu par les professionnels de la construction (ignorance ou corporatisme) et une partie des médias.
Le mythe des bâtiments verts
Il n’est pas rare que la presse, y compris la presse spécialisée, vante aveuglément les mérites des constructions dites bioclimatiques, agrémentées de toutes les vertus écologiques (bois certifié, chauffage biomasse, panneaux photovoltaïques et dispositifs passifs ou de réemploi pour le mieux).
Cependant, après analyse, ils sont très coûteux en surface bâtie et en matériaux sans rapport commun avec le nombre de personnes logées ou les usages. Ce sont généralement des résidences spacieuses pour peu de personnes, ou plus chères en termes d’énergie, des résidences secondaires.
Le bâtiment responsable d’un tiers des émissions de gaz à effet de serre
En France, on vit en moyenne avec 40 m² par personne. Une moyenne qui cache bien sûr des inégalités selon les territoires – en 2017, dans l’unité urbaine de Paris chaque habitant disposait en moyenne de 30m2 alors que cette surface moyenne s’élevait à 47m2 dans les communes rurales. L’âge influence aussi : en 2017, les personnes âgées vivaient en moyenne avec 60m2 par personne et les moins de 30 ans avec un peu plus de 30m2. C’est trop? Dur à dire. En revanche, on sait que le bâtiment représente un tiers des émissions de CO₂ en France.
Celles liées à la fabrication des matières premières nécessaires -principalement celles qui composent le ciment, qui est à lui seul responsable de 5% des émissions mondiales de gaz à effet de serre- représentent près de 85% des émissions de gaz à effet de serre d’un ouvrage, loin devant le transport de marchandises. de ces matériaux, l’énergie d’exécution ou les déplacements des ouvriers du bâtiment.
Le bâtiment est également identifié comme l’un des plus gros consommateurs de ressources et l’un des plus gros producteurs de déchets. Un secteur donc très bien représenté parmi les responsables du réchauffement climatique et de la destruction de l’environnement.
De quoi réfléchir, d’abord à ce que nous construisons en quantité puis en qualité bien sûr.
Espaces et usages de la piscine
Pour les architectes, comprendre les usages de leurs clients, les inviter à s’interroger sur leurs modes de vie et réévaluer avec eux leurs besoins est un axe de travail essentiel. Cela évite de les consolider dans une voracité spatiale sous l’emprise d’une mode dont l’architecte peut aussi être victime.
Les structures familiales qui varient dans l’espace et dans le temps et l’évolution des modes de vie invitent à repenser l’habitat. Le partage de certaines fonctions, usages et espaces, par exemple la buanderie commune (mesure adoptée depuis des décennies dans certains pays) ou la chambre d’amis, souvent inoccupée, dans un ensemble de logements, contribuerait à réduire les surfaces bâties de chaque logement et grandement amélioré sa qualité d’utilisation.
La cohabitation générationnelle (jeune ou vieux) et intergénérationnelle est la forme la plus aboutie de mutualisation des différentes fonctions et usages de la vie. Mais aussi le bureau partagé – 30 % des Français travaillent désormais occasionnellement à domicile – ou l’atelier de bricolage partagé qui libère les appartements.
Aussi, une réflexion sur l’évolutivité des logements et des bâtiments en fonction de l’évolution des familles et des mutations sociales. La famille dite « classique » ne représente plus que 45 % des ménages, re-cohabitation (jeunes adultes qui rentrent chez eux face à la crise structurelle), fragmentation (divorce) et recomposition familiale (géométries qui varient dans le temps). 35% des gens vivent aussi seuls…
Etendre la réflexion à toutes les constructions.
Ce qui est vrai en matière de logement est vrai dans d’autres secteurs d’activité du bâtiment : locaux commerciaux, bureaux, parkings, etc. On connaît tous des bureaux vides, des équipements sous-utilisés, des parkings totalement vides à certaines périodes de la journée ou de l’année.
Là encore, la mutualisation est une des réponses pour lutter contre cette mauvaise gestion des surfaces bâties, source d’économies considérables d’énergie et de matériaux utilisés, qui se heurte trop souvent à des enjeux de gouvernance teintés d’aspects juridiques.
Il existe de multiples combinaisons et possibilités de partage d’activités et de services. Bien connues et souvent plébiscitées, elles sont encore très peu mises en œuvre. Cependant, ils favorisent la cohésion sociale par l’échange et la collaboration qu’ils génèrent.
La révision sincère de nos besoins et de notre niveau de confort, la résistance aux tentations consuméristes et à l’ostentation sociale, la rénovation de l’existant, la réutilisation, le partage et l’évolutivité des espaces habités conduiront à une réduction, espérons-le significative, du bâti. et une meilleure qualité architecturale. Parce qu’elle nécessite une plus grande intelligence collaborative de la part de l’architecte et de son client.