Le dernier rendez-vous manqué de Nicolas Hulot?

Chaque année, plus de 65 000 hectares de terres disparaissent sous les autoroutes, les parcs d’activités et les urbanisations, soit environ l’équivalent d’un appartement tous les huit ans.

En provoquant la perte d’habitats, la rupture des continuités écologiques et la perturbation du fonctionnement des écosystèmes, l’artificialisation des espaces naturels et agricoles est l’une des principales causes de l’érosion de la biodiversité.

Avant l’annonce de sa démission, ce mardi 28 août 2018 sur les ondes de France Inter, le ministre de la Transition écologique, Nicolas Hulot, avait fait de ce dossier son principal champ de bataille. Parmi les 90 propositions incluses dans son plan biodiversité, présenté le 4 juillet, figurait l’objectif de « zéro net artificialisation ». Une annonce malheureusement dépourvue d’objectif chiffré et de calendrier.

Fausse publicité politique

En France, cette volonté de stopper l’artificialisation des sols n’est pas nouvelle.

La loi de modernisation agraire de 2010 prévoit une réduction de 50 % de la consommation des terres agricoles d’ici 2020. Et lors de la conférence environnementale du 15 juillet 2012, il a également été annoncé que les surfaces artificielles se stabiliseraient d’ici 2020.

Depuis 2011, ces mesures s’inscrivent dans la Feuille de route pour une Europe efficace dans l’utilisation de ses ressources, qui fixe l’objectif d' »éliminer d’ici 2050 toute augmentation nette des surfaces occupées ». En juillet dernier, Nicolás Hulot s’était déclaré, succombant à la supériorité, voulant réduire à zéro l’artificialisation des sols.

Une réduction à zéro ou presque… car si l’on lit bien le message, à savoir « zéro artificialisation nette », c’est le « réseau » qui interpelle : il ne s’agit plus d’arrêter l’artificialisation de nouveaux espaces naturels et agricoles, mais plutôt d’autoriser l’artificialisation de ceux-ci espaces en échange de la désartificalisation d’une surface équivalente.

Selon cette logique, en construisant un hectare de parking, un opérateur peut maintenir une artificialisation nette nulle en désartificialisant un hectare de parking ou de terrain bitumé ailleurs. C’est le principe d’interchangeabilité des surfaces artificielles.

Le principe d’interchangeabilité en cause

Le principe d’interchangeabilité ne cesse de soulever des questions importantes : peut-on vraiment désartificieliser un sol? Qui va s’en occuper? Et surtout, qui paiera la facture?

En dehors de secteurs spécifiques qui bénéficient d’une réglementation active, comme la suppression d’obstacles dans les cours d’eau ou la réhabilitation de carrières, la suppression d’infrastructures est peu pratiquée. Les raisons invoquées sont généralement des coûts faramineux que personne n’a intérêt à supporter tant qu’il est possible de construire ailleurs.

Se pose alors la triple question du savoir-faire, du coût et surtout de la gestion de la désartificialisation. Or, aucun de ces éléments ne figure sur la feuille de route du ministre.

On s’en tiendra donc vraisemblablement au principe « éviter-réduire-compenser » (dit ERC), en place depuis 2007, que le plan met également en avant. Cependant, il y a un problème : le rétrospectif que nous avons aujourd’hui sur plus de dix ans de mise en œuvre nous fait dire que les mêmes carences persisteront, à savoir une efficacité très relative dans la protection de la biodiversité.

« Éviter-réduire-compenser », un principe décevant

Le principe d’artificialisation « nette » zéro a été introduit en France dans le cadre du principe « éviter-réduire-compenser » appliqué depuis fin 2007 avec le Grenelle de l’environnement. L’objectif est de limiter les impacts des aménagements sur la biodiversité.

Depuis, tout nouveau développement soumis à une étude d’impact doit d’abord éviter : de ne pas construire dans une zone humide ou contenant des espèces rares déplaçant le projet, par exemple.

Pour la biodiversité affectée, les effets peuvent être réduits par des mesures particulières pendant les travaux (attente de la fin de la nidification des oiseaux par exemple) ou par des aménagements permanents (type champignons vénéneux).

Enfin, les impacts résiduels inévitables doivent faire l’objet d’une compensation écologique. Celles-ci visent à restaurer une zone humide ou à gérer un site pour qu’il attire des espèces perturbées par l’aménagement.

Derrière cet objectif apparemment ambitieux du principe « éviter-réduire-compenser » se cache une approche « en entonnoir » qui restreint la biodiversité considérée à quelques spécimens emblématiques et localement menacés. Certaines espèces « phares », comme le lézard ocellé ou la pie-grièche, sur les innombrables espèces « ordinaires » que l’on trouve généralement dans l’écosystème étudié. Pourtant, ces pollinisateurs, insectes du sol, oiseaux communs, flore spontanée… tous ces organismes vivants négligés sont tout aussi menacés, comme le rappelaient encore une fois d’importantes études sur les oiseaux et insectes communs en 2017.

Sans compter que de nombreux écosystèmes ne sont pas interchangeables : restaurer une prairie en échange d’une prairie détruite fait fi de tout un pan de la vie, à savoir la diversité génétique et fonctionnelle (interactions entre les espèces et avec leur environnement).

L’illusion des outils

Malgré ses résultats imparfaits, le principe ERC peut être considéré comme un « moindre mal » pour la biodiversité. Elle permet a minima une acculturation des aménageurs aux enjeux de la biodiversité, améliorant les mesures avec l’expérience.

Mais sa pertinence en tant que politique publique dépend aussi de son efficacité, c’est-à-dire du niveau des bénéfices pour la biodiversité, par rapport aux ressources investies. Cependant, la mise en œuvre de ce principe est marquée par une inflation des besoins techniques et organisationnels : méthodes d’équivalence entre écosystèmes, outils de centralisation et de géolocalisation des sites, moyens d’inventaires de la biodiversité, etc.

Ces outils sont à la charge des agents des services de l’Etat qui voient dans le même temps augmenter le nombre de dossiers d’urbanisme qu’ils s’efforcent d’instruire et surtout de contrôler, au détriment de la force incitative de l’instrument.

Cette charge organisationnelle générée par le principe ERC est développée dans un contexte de ressources réduites pour les administrations en charge de la biodiversité.

Dès lors, l’objectif de « zéro net artificialisation » ne manquera pas de soulever des questions similaires : catégoriser les sites artificialisés pour établir des équivalences, cartographier les sites à déartificialiser pour faciliter la mise en œuvre, établir une gouvernance ad hoc, etc. A la lumière de cette expérience, les actions proposées pour mettre en œuvre cet objectif, en s’appuyant sur le développement d’outils et un renforcement du contrôle, font que cet objectif risque de connaître les mêmes carences.

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