En France, le record de température de 46°C a été enregistré lors de la canicule de juin. Dans un tel contexte, les conditions de travail deviennent rapidement intenables, notamment pour les emplois physiques et/ou extérieurs.
Certains secteurs professionnels sont en pointe, c’est notamment le cas des ouvriers du bâtiment et de l’agriculture ; les moyens de protection des travailleurs se limitent ici généralement à la surveillance, à l’approvisionnement en eau et à l’aménagement des horaires de travail.
Pourtant, les prédictions des modèles climatiques sont claires : à chaque degré (ou plus précisément à chaque demi-degré) de réchauffement climatique, la fréquence, l’intensité et la durée des événements extrêmes tels que les vagues de chaleur vont augmenter.
Avec des rythmes de travail réduits et des horaires adaptés, on peut d’ores et déjà anticiper une baisse de la productivité : l’Organisation Internationale du Travail estime que pour les secteurs les plus exposés, la productivité pourrait chuter de 20 % au cours de la seconde moitié du XXIe siècle.
Outre les aspects économiques, le réchauffement climatique soulève également de sérieuses questions en termes de santé au travail. Les conséquences du changement climatique sur la santé des travailleurs vont bien au-delà du simple inconfort.
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Les impacts des vagues de chaleur
Les phénomènes climatiques qui préoccupent le plus la santé au travail sont sans aucun doute les vagues de chaleur. En effet, les capacités de thermorégulation du corps humain sont limitées : le risque d’épuisement physique apparaît en cas d’augmentation de la température corporelle au-dessus de 38-39°C, suivi du risque de « coup de chaleur » qui peut être mortel au-dessus de 40°C.
Sur la base de travaux de modélisation prenant en compte à la fois des projections démographiques (taille de la population active) et des projections climatiques, il est possible d’obtenir des projections de l’impact des canicules sur la santé des travailleurs, et ce sous différents scénarios de changement climatique.
L’utilisation des modèles climatiques ne se limite pas aux seules projections de température, puisque d’autres paramètres affectent la thermorégulation, comme le taux d’humidité qui influence la transpiration.
Selon les projections de différents modèles climatiques, un réchauffement de 2,5°C pourrait exposer plus d’un milliard de personnes à des conditions climatiques incompatibles avec le travail pendant au moins un mois de l’année. Sous les mêmes hypothèses de réchauffement, les populations pour lesquelles les conditions climatiques pourraient dépasser l’adaptation physiologique et donc poser un risque mortel se comptent par dizaines de milliers, bien que les écarts entre modèles soient importants sur cet indicateur.
Sans surprise, les régions les plus touchées sont les tropiques (voir carte ci-dessous). Outre le risque sanitaire, la capacité de travail réduite des personnes exposées est également susceptible d’avoir des effets économiques, en réduisant les revenus des travailleurs et en augmentant ainsi le risque d’appauvrissement.
Ce risque pèserait surtout sur les travailleurs les plus exposés aux effets de la chaleur, qui sont généralement les moins bien payés (professions agricoles ou manuelles peu qualifiées), et aussi les moins susceptibles de disposer de moyens de protection comme la climatisation. Cela équivaudrait donc à creuser un peu plus les inégalités sociales.
Et en France?
Dans un contexte de réchauffement climatique, les effets des vagues de chaleur constituent, on l’a vu, une menace sur le lieu de travail, principalement dans les zones tropicales. Est-ce à dire que les travailleurs français, hors outre-mer sous les tropiques, ne doivent pas craindre les conséquences du réchauffement climatique? Il serait imprudent de le croire, d’autant plus que dans les zones tempérées les organismes humains sont moins habitués à une telle exposition.
L’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) a publié en 2018 un rapport sur le sujet en réponse à une saisine des directions générales de la santé et du travail. Les conclusions sont claires : outre les risques professionnels liés au bruit et ceux liés aux rayonnements artificiels, tous les risques professionnels seront touchés et potentiellement accrus.
L’augmentation des températures est l’un des facteurs en cause : elle affecte la pénibilité du travail et peut provoquer une gêne ou un coup de chaleur. De plus, une plus grande exposition à la chaleur est un facteur de risque pour les maladies cardiovasculaires et en général pour les porteurs de maladies chroniques.
On peut également citer le problème de l’augmentation de l’exposition à l’ozone troposphérique, facteur de risque cardiorespiratoire connu, avec la chaleur. Les effets de la chaleur sur la santé physique peuvent également être indirects : la chaleur peut contribuer à réduire la vigilance et ainsi favoriser la survenue d’accidents du travail. De plus, cela rend les équipements de protection individuelle difficiles à porter.
Enfin, et de façon moins intuitive, la chaleur peut aussi affecter la santé mentale des travailleurs : elle interrompt le sommeil et le repos, augmente l’irritabilité, peut aggraver les tensions au sein d’une organisation ou avec le public et, donc, à terme, elle est susceptible d’augmenter la risques psychosociaux du travail.
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D’autres facteurs peuvent également influencer les risques professionnels : l’augmentation de la fréquence et de l’intensité des événements climatiques extrêmes (inondations, feux de forêt, tempêtes) sont susceptibles d’augmenter la fatigue physique et mentale, et également d’influencer négativement les risques psychosociaux et psychologiques. d’accidents.
Enfin, les modifications de l’environnement peuvent également avoir des répercussions sur la santé des travailleurs. Les modifications des écosystèmes – l’extension par exemple des aires de répartition des espèces vectrices de maladies infectieuses – peuvent entraîner une augmentation des risques biologiques. Il en va de même pour l’environnement de travail chimique : les augmentations de température peuvent augmenter la volatilité des produits chimiques et ainsi augmenter l’exposition par inhalation des travailleurs.
Se préparer
Comment faire face aux impacts du changement climatique sur la santé au travail, qui constituent encore un angle mort des débats autour des enjeux climatiques?
Tout d’abord, un effort de recherche est nécessaire pour mieux comprendre à la fois les aléas et les groupes particulièrement vulnérables de la main-d’œuvre (en termes de secteur d’activité ou de facteurs individuels) ainsi que les modalités d’adaptation en milieu professionnel. Cela avait déjà été souligné dans un rapport publié en 2012 par l’Institut québécois de recherche en sécurité et santé du travail (IRSST).
Plus généralement, il est essentiel que les organisations publiques et privées prennent conscience de l’impact qu’aura le changement climatique sur les conditions de travail et la santé de leurs salariés. Il s’agit donc de mettre en œuvre conjointement une démarche d’adaptation (se préparer aux conséquences du changement climatique), mais aussi une démarche d’atténuation (réduire les émissions de gaz à effet de serre pour limiter le réchauffement climatique).
Les mesures d’adaptation nécessitent aujourd’hui de prendre en compte les effets actuels et futurs du changement climatique dans leur évaluation et leur gestion des risques. Cela implique notamment une information et une formation spécifiques, principalement auprès des fonctions HSE (santé, sécurité et environnement) des organisations, mais aussi auprès des directions locales.
L’atténuation implique des changements plus globaux : décarbonisation des activités, efficacité et sobriété (en termes de ressources et d’énergie). Des changements qui concerneront tous les domaines des organisations et nécessiteront également des personnels formés aux enjeux du changement climatique, à tous les niveaux de l’organigramme, tant dans le secteur public (et notamment éducatif) que privé.