Ma femme est peintre en bâtiment, quel est le problème?

De plus en plus de femmes poussent la porte du secteur de la construction pour y faire carrière, assumant la passion de leur métier. Dans un secteur où 90% des emplois sont occupés par des hommes, comment ces femmes vivent-elles leur activité professionnelle? Surtout, assiste-t-on à une transformation du secteur de la construction ou, plus largement, à une évolution de la société?

L’étude menée par la chaire CoCréatec (Fondation universitaire de Montpellier), financée par le Fonds social européen (2016-2018), montre que les femmes arrivent désormais dans ce secteur avec de nouvelles ambitions, apportant un souffle de changement qui entraîne une amélioration de performance globale.

Bien que notre enquête révèle que seulement 60% des artisans considèrent l’arrivée des femmes dans leur entreprise comme plutôt ou totalement favorable, la poussée de certains métiers vers la mixité devient une réalité. Des femmes et des hommes, des chefs d’entreprise, des salariés et des parties prenantes qui travaillent dans le secteur de la construction ont été interrogés. Tous s’accordent sur la nécessité de donner aux femmes un véritable statut de leaders et d’artisanes opérationnelles, notamment en luttant contre les stéréotypes.

C’est ce qui ressort de la série de textes ci-dessous.

Contourner l’obstacle physique

La pénibilité de certains métiers du bâtiment continue d’être une réalité, notamment dans le gros œuvre (activités qui concourent à la construction de la structure d’un bâtiment) : manutention, transport de charges, travaux physiques.

« Je suis censé travailler jusqu’à mes 73 ans, vous imaginez-vous refaire un toit? »

« Il y a encore beaucoup de management, et pour moi c’est un obstacle pour une femme de faire ce métier. »

Mais les activités des entreprises de construction ne se limitent pas à ces aspects physiques :

« En plus de soulever des poids très lourds, une femme peut effectuer les mêmes tâches qu’un homme. »

La difficulté physique continue d’être un frein pour certains métiers à la réflexion collective, tandis que d’autres, comme la menuiserie, voient la mixité s’installer dans les centres de formation.

Cependant, cet obstacle physique semble pouvoir être contourné. En premier lieu, les évolutions techniques permettent de réduire la charge physique, facilitant l’intégration des femmes, mais aussi d’alléger la charge de travail des hommes. Ensuite, les femmes interrogées font preuve d’une grande ingéniosité pour surmonter les obstacles physiques (embauche de salariés, d’intérimaires, collaboration avec d’autres entreprises, positionnement à des endroits adaptés, etc.). Enfin, la difficulté physique semble plus présente dans les esprits que dans la réalité des chantiers.

Le vrai problème aujourd’hui, c’est « on n’a pas tous les métiers ». Les soumissions de curriculum vitae des femmes sont absentes dans certaines professions; les filles sont aussi pratiquement absentes de certaines filières, malgré la politique pro-mixte initiée par le ministère de l’Éducation nationale et relayée ensuite par les rectorats. Mais alors qu’est-ce qui bloque?

La réponse peut être… nous tous

Parents, chefs d’entreprise, clients, collègues, amis, conjoints, voisins, enfants… l’étude montre clairement que le poids de la société est un frein majeur à la motivation des femmes. L’entourage familial exerce une pression particulièrement dissuasive sur les jeunes. Bien que les parents soient artisans, ils découragent leur fille d’entrer dans le métier :

« Dès le début, mon père m’a dit que la peinture n’était pas un métier de femme. »

La limitation généralement exprimée par les femmes entrepreneures se retrouve dans ce secteur : les responsabilités familiales. C’est aussi souligné par les partenaires de femmes qui travaillent dans le BTP bien plus qu’eux-mêmes : « on ne sait pas à quelle heure il faut finir… c’est un peu compliqué ».

Une autre barrière à la mixité dans les métiers de la construction provient d’un frein social, véhiculé par des stéréotypes associés à un clivage entre métiers.

« Il devrait y avoir de la diversité dans tous les métiers, pas seulement dans les métiers de la construction. (mots de femme)

« Nous n’informons pas suffisamment nos jeunes. A mon avis, c’est volontaire. » (parole d’un homme qui regrette la sous-représentation des femmes parmi les jeunes apprentis)

De nombreux témoignages expriment des freins venant de la société. L’étude montre que la grossièreté reprochée à ce secteur n’est en réalité que le reflet d’une société qui identifie l’artisan du bâtiment par une virilité exacerbée. Prenons l’exemple de cette femme menuisier à qui un client répond :

« Mais êtes-vous le charpentier? Alors je ne veux pas de devis, un menuisier c’est un homme, je ne veux pas de vos services! »

De « femme d’artisan » à « artisanes »

Les stéréotypes aident à structurer notre représentation de l’autre. En quelque sorte, ils organisent notre vision de la société en catégorisant la population. En revanche, le risque existe de limiter le rôle des femmes à des tâches essentiellement administratives, puisque l’inconscient collectif du XXème siècle nous a appris qu’il y a des « femmes d’artisans » et non des « femmes artisanes ». La « femme d’artisan » aide son mari, « l’artisane » assume le rôle de chef d’entreprise.

Les stéréotypes deviennent vraiment dangereux lorsqu’ils deviennent des préjugés, c’est-à-dire lorsqu’ils atteignent un niveau discriminatoire qui assimile le second rôle à l’incompétence dans la gestion. Ce que montre notre étude, c’est l’importance d’une responsabilité partagée entre les femmes et les hommes dans ces préjugés. Certains savourent son leadership, tandis que d’autres, élevés par une éducation patriarcale, se glissent confortablement dans l’ombre du premier. Plus surprenant, nous n’avons pas observé de clivage générationnel dans ces comportements.

« Ils sont différents »: point de vue traditionnel

Les stéréotypes peuvent être négatifs, dérivés de limitations matérielles, dues à la dureté de certaines activités de construction.

« Ce sont des métiers physiques… c’est vrai que pour une femme ça peut être un peu compliqué. »

Mais la vision stéréotypée a aussi des aspects non discriminatoires, exprimés à la fois par les sentiments des hommes et des femmes. En termes de management et d’organisation, les femmes semblent meilleures :

« La différence dans les travaux de construction, c’est l’organisation. Ils arrivent déjà ponctuellement au rendez-vous… Ils sont beaucoup plus rigoureux que les garçons. (parole d’homme)

Les femmes sont aussi valorisées dans la relation client :

« Dans l’esprit des gens, avoir une femme pour faire le travail leur donne confiance dans la propreté du site. »

Enfin, la qualité des relations avec les salariés, mais aussi avec les partenaires, est jugée supérieure chez les femmes. Dès lors, son rôle de directrice d’exploitation semble s’immiscer dans le quotidien des entreprises artisanales, sans être formellement assumé ni contractuellement généralisé.

« Que fait une femme sur un chantier? » : discrimination hostile

Le regard peut être carrément désapprobateur :

« Parfois on a l’impression, on a l’impression de prendre une place… »

Mais le plus souvent se pose le difficile problème de la reconnaissance professionnelle.

« Ce n’est pas une femme qui va m’apprendre mon travail.  »

De toute façon, l’erreur, voire la simple maladresse, n’est pas tolérée de la part d’une femme sur les chantiers (alors qu’elle serait acceptée de la part d’un homme artisan…).

« Je ne suis pas sûr qu’elle m’aurait testé si elle avait été un homme » : sur-demande professionnelle

La femme qui arrive sur un chantier a l’impression de réussir un examen imposé par ses collègues masculins. Sa compétence est mise en cause a priori :

« Ils génèrent des doutes… Ils ne font pas confiance. »

Les femmes sont tenues de maîtriser un métier supérieur à celui des hommes artisans ; vous devez faire vos preuves. Mais quand le savoir-faire est reconnu et que la maîtrise technique est là :

« Les hommes sont encore plus impressionnés. »

Les femmes sont-elles l’avenir de la construction?

Le terme « entrepreneur » ajouté aux motivations des femmes à entrer dans le monde des métiers de la construction se justifie pour deux raisons : la professionnalisation et la capacité.

La fierté d’une professionnalisation technique

L’orientation des femmes dans les métiers de la construction correspond à un choix de carrière (et non à un choix par défaut) :

« Je n’ai pas choisi ce métier parce que c’était pour les hommes ; j’ai choisi ce métier parce que je l’aimais. (paroles de femme)

De ce fait, les femmes font preuve d’une grande rigueur dans l’exercice de leur métier :

« Quand ils disent qu’ils font quelque chose, ils le font. (parole d’homme)

Cette représentation (stéréotypée?) que les hommes se font du professionnalisme féminin semble motiver leur désir d’accueillir plus de femmes dans la technicité de leur métier. Les hommes interrogés avouent être plus attentifs à la qualité de leur travail lorsqu’il y a des femmes dans leurs équipes. La mixité pourrait ainsi contribuer à accroître la performance de l’entreprise par une amélioration globale de la rigueur professionnelle.

« J’aime le mélange des genres : j’aime ça parce que du coup on est tous mieux ensemble. » (mot de l’artisan)

L’affirmation d’une capacité, base de la détermination de l’entreprise

Tenues pour montrer leurs compétences, les femmes sont sûres de leurs capacités.

« Une femme peut rester seule, aller jusqu’au bout… il n’y a aucune raison. »

Ces motivations impliquent une démarche entrepreneuriale, qui conduit à la décision de créer une entreprise. D’où la forte proportion de jeunes entreprises individuelles créées par des femmes dans l’échantillon de notre analyse.

Les indicateurs de performance individuelle, organisationnelle, sociale et économique que nous avons mesurés montent en puissance lorsqu’il y a diversité dans les métiers de la construction. Non seulement le climat s’apaise, mais le professionnalisme s’améliore tant dans les entreprises que sur les chantiers multi-métiers. L’intérêt de déconstruire les stéréotypes encore nombreux n’en est que plus fort.

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