Le secteur du bâtiment résidentiel est le deuxième secteur consommateur final d’énergie en France (derrière les transports), avec environ 50 % d’énergie carbonée. Pour vous accompagner dans votre transformation, l’État français a lancé la réglementation RT 2012, qui instaure un seuil maximal de consommation d’énergie pour les bâtiments neufs et des crédits d’impôt pour la rénovation énergétique pour les particuliers.
Parallèlement à ces mesures, on assiste à l’essor des logements économes en énergie : logements passifs (supposés à consommation d’énergie extrêmement faible voire nulle) et autres bâtiments à énergie positive (produisant plus d’énergie qu’ils n’en consomment).
Les technologies numériques font également leur apparition dans nos maisons, pour nous aider à maîtriser notre consommation d’énergie (affichage en direct de la consommation, relevés détaillés en ligne, applications, etc.).
Si cette réponse technique semble cohérente, il est légitime, avec l’arrivée prochaine de la nouvelle norme RE 2020 qui remplacera la RT 2012, de s’interroger sur l’efficacité de cette réponse : la technique garantit-elle l’efficacité énergétique?
performances décevantes
Les résultats d’une étude publiée fin 2019 montrent que la baisse de la consommation d’énergie liée à la rénovation énergétique des logements est nettement inférieure aux attentes.
Selon les auteurs, les habitants renouvellent leur habitat dans une optique de confort thermique plutôt que dans le but de réduire la consommation d’énergie. Dans le même ordre d’idées, des expérimentations sur des bâtiments économes en énergie ont révélé que la baisse attendue de la consommation d’énergie n’a pas été observée.
Des sociologues de l’université Toulouse II se sont penchés sur la question. Selon eux, les habitants n’utilisent pas les bâtiments et leurs équipements comme leurs concepteurs l’avaient envisagé, ce qui ne leur permet pas de réduire autant que prévu leur consommation d’énergie.
Dans certains cas, ils adopteraient même des comportements contre-productifs, ce qui augmenterait leur consommation. Ces résultats sont tout à fait cohérents avec ceux d’une étude publiée en 2017, selon laquelle la consommation énergétique des bâtiments peut être 3 fois plus élevée que prévu.
Les facteurs qui interviennent sont variés : l’environnement (fait-il froid ou chaud?), le bâtiment (est-il bien isolé?), les équipements (est-ce bon marché?) et les occupants. Les auteurs indiquent que le comportement de ce dernier est fondamental mais qu’il est le moins pris en compte dans la conception des bâtiments.
Les comportements jouent donc un rôle important dans la consommation énergétique des bâtiments. Et les seuls aspects techniques semblent insuffisants pour atteindre les objectifs de réduction d’énergie.
Des utilisations parfois inattendues
Pour expliquer cet état de fait, intéressons-nous aux usages des habitants, dont la plupart des activités ménagères sont source de consommation d’énergie, comme la cuisson d’un gâteau.
Pour tenter de limiter les dépenses énergétiques générées par la cuisson, des actions de maîtrise énergétique peuvent être mises en place : cuire le gâteau après un gratin pour gagner du temps de chauffe, acheter un four moins cher. Mais ils peuvent aussi avoir des activités de gestion de l’énergie, par exemple enlever les feuilles mortes tombées sur les panneaux solaires.
La difficulté à atteindre les objectifs de réduction d’énergie dans l’habitation est probablement liée à l’inadéquation des dispositifs techniques (ici, l’habitation ou l’application de suivi des consommations énergétiques) pour les utilisateurs et leurs usages.
En design, on parle de « modèle de conception » pour qualifier la représentation que se fait le designer de l’utilisation probable de son objet par l’utilisateur : c’est une représentation hypothétique. On parle de « modèle d’utilisation » pour qualifier la représentation que l’utilisateur a lors de l’utilisation de l’objet ; Ceci est une représentation réelle.
Lorsqu’il y a une trop grande différence entre le modèle de conception et le modèle d’utilisation, l’utilisation de l’objet devient moins efficace, plus difficile et peut être la cause d’utilisations non prévues. Par exemple, aérez votre maison tous les matins dans un bâtiment passif. Ces usages non prévus par le concepteur du bâtiment peuvent être à l’origine d’une surconsommation d’énergie. Il est donc essentiel de bien comprendre l’activité des habitants pour imaginer des habitats et des équipements adaptés.
Prendre en compte les biais cognitifs
Il reste que connaître l’activité des habitants ne suffit pas. Il faut aussi tenir compte du fonctionnement de votre cerveau, doté d’une rationalité limitée. Nos sens, notre mémoire et notre capacité à traiter l’information sont limités.
Lorsque nous prenons des décisions, nous sommes donc soumis à des soi-disant « biais cognitifs », des automatismes qui nous permettent de traiter rapidement une multitude d’informations, mais qui sont aussi source d’erreurs de raisonnement. Bien que nous pensions agir rationnellement et conformément à nos valeurs, nous nous comportons parfois de manière contraire à celles-ci. Ces biais n’excusent pas nos comportements en faveur de l’environnement.
En 2011, Robert Gifford publie un article dans lequel il décrit les 29 biais cognitifs auxquels nous sommes soumis et qui nous empêchent d’agir pour limiter et nous adapter au changement climatique. Une étude publiée en 2019 dans la revue Nature Sustainability montre que lorsqu’un individu adopte un comportement pro-environnemental (achat d’un four économe en énergie), cela a une influence négative sur d’autres comportements positifs (suivi de sa « consommation d’énergie »).
Ce mécanisme peut être induit par un effet de compensation morale (aussi appelé « effet rebond ») : lorsqu’une action moralement positive est utilisée pour légitimer une action moralement moins positive.
Prenons un exemple : un particulier achète une chaudière électrique nouvelle génération pour remplacer son ancien appareil diesel. Il vous permet de ne plus consommer de mazout et est plus économe en énergie. Par conséquent, nous nous attendons à une baisse de la consommation de chauffage. Avec son ancienne chaudière diesel, cet utilisateur a tenté de réduire l’utilisation de son chauffage, pour moins polluer. Désormais, cela lui importe beaucoup moins, étant sa chaudière électrique et plus économique. Il a donc augmenté la température de sa maison, de 19° à 21°C, et chauffe désormais son hall.
Ici, le remplacement d’une chaudière diesel par une chaudière électrique basse consommation est à l’origine d’un comportement moins économe en énergie, qui peut limiter la baisse de consommation, voire provoquer une augmentation de la consommation d’énergie pour le chauffage.
Dans la mesure où les biais cognitifs peuvent clairement influencer notre consommation d’énergie dans le logement, il est nécessaire d’en tenir compte dans la conception de l’habitat.
encourager la collaboration
Si la technique est indispensable pour améliorer l’efficacité énergétique et la maîtrise de l’énergie, elle reste encore insuffisante.
Une réflexion sur nos comportements doit être intégrée pour concevoir des bâtiments qui ne génèrent pas d’usages aux effets limitants voire contre-productifs en termes de réduction des consommations énergétiques. L’objectif n’est pas de convaincre les usagers d’un certain comportement, mais de concevoir des habitats et des équipements compatibles avec les habitants, qui permettent d’atteindre les performances énergétiques attendues et qui autorisent une véritable sobriété.
Pour cela, le bâtiment et ses équipements doivent s’intégrer à l’activité des habitants, à leurs objectifs et leur permettre de s’émanciper de leurs biais cognitifs. Pour ce faire, des chercheurs autrichiens proposent une liste de recommandations visant à neutraliser ces biais concernant la consommation d’énergie dans le logement. Par exemple, pour profiter du « biais du statu quo », qui conduit à une résistance au changement, les auteurs proposent de régler par défaut les appareils sur leur mode d’utilisation le plus économe en énergie. Par conséquent, l’utilisateur doit s’efforcer d’utiliser un mode d’utilisation plus consommateur.