Près de 10 000 euros pour un petit carré d’un mètre de côté. C’est le prix de l’immobilier résidentiel dans la capitale. Quadruplé depuis 20 ans. Il est coûteux. Pas encore tout à fait comme Londres, mais presque. Très cher pour les familles souhaitant s’établir ou s’agrandir. Trop cher pour les jeunes actifs travaillant à Paris. Mais pourquoi? Manque de nouvelles constructions? Les acquisitions de riches citoyens d’Amérique et du golfe Persique? Et, au final, est-ce un prix très raisonnable et durable?
Le choix difficile du logement
Si vous souhaitez acheter un appartement à Paris, vous devez indiquer vos préférences (quartier, quartier, étage, ascenseur, proximité du métro, niveau des écoles, etc.) et surtout être prêt à repartir. Oui, votre budget n’est pas extensible. Il est limité par votre apport personnel et le remboursement mensuel du prêt supportable par vous et acceptable par votre banquier. Il faudra donc arbitrer, notamment, entre surface et lieu. L’écart de prix moyen au m2 dans l’ancien est de près d’un à deux entre le VIᵉ et le XIXᵉ arrondissements. Là encore un écart d’un à deux entre Paris intra-muros et les communes de la petite périphérie.
Que les habitants des métropoles des autres régions ne laissent pas leur lecture ici. Ce qui est dit ci-dessous sur Paris est globalement valable pour Lyon, Nantes ou Strasbourg. Par exemple, la baisse du prix de l’immobilier résidentiel avec l’éloignement du centre-ville est un cas général en France, ainsi que dans d’autres parties de l’Europe. Les centres urbains sont plus denses et les terres sont plus rares. De plus, ils concentrent patrimoine historique, musées, salles de concert et autres équipements recherchés par les ménages aisés.
Le choix d’un logement ne se limite pas à ses caractéristiques intrinsèques, il est aussi lié au quartier. Bref, plein de paramètres. De plus, les appartements et les maisons ne sont pas valorisés de la même manière par tout le monde. Les coups de coeur promus par les agents immobiliers ne sont pas les mêmes pour tout le monde. L’immobilier est donc un bien économique très hétérogène, ce qui implique que le prix de transaction dépend des écarts entre les valeurs personnelles que l’acheteur et le vendeur accordent pour le bien considéré, ainsi que de leur pouvoir de négociation respectif.
Les étrangers achètent plus cher et revendent moins cher
Prenons le cas de l’immobilier de luxe, un marché porté par les étrangers non-résidents. Votre achat à Paris est un peu moins motivé par des motivations d’investissement ou d’immigration future qu’à New York ou Londres, où le marché est plus liquide. Et un peu plus motivé par l’affection, le souci de la célébrité ou l’attirance sentimentale pour la ville étrangère préférée de Woody Allen. Combinées à une grande aisance financière, ces valeurs personnelles les amènent à surpayer leurs appartements spacieux. Et ce d’autant plus qu’ils sont également moins informés sur les prix que les résidents, ce qui réduit leur pouvoir de négociation. Dans une étude récente, deux économistes montraient que la surprise de ces acquéreurs très particuliers atteignait 2 ou 3 % à Paris et qu’ils revendaient aussi moins cher. A conditions égales, c’est-à-dire pour des appartements de même qualité (superficie, situation, confort, etc.).
Les acquéreurs étrangers contribuent à un phénomène apparu avec la mondialisation : une synchronisation croissante des prix de l’immobilier entre villes internationales. Actif financier, l’immobilier fait l’objet d’arbitrages et de stratégies de portefeuille qui tendent à répartir les variations de prix d’un point à un autre de la planète, même si elles sont très éloignées.
Baisse des taux d’intérêt, augmentation des durées de prêt
Mais plutôt que par ce mécanisme de diffusion, la synchronisation globale croissante est avant tout le résultat de mouvements simultanés, c’est-à-dire l’effet de facteurs identiques ; les mêmes causes produisent les mêmes effets. Mais qu’est-ce qui affecte la demande d’un appartement à Paris, Munich, Vancouver ou Boston, voire à Nancy ou Bordeaux, de luxe ou non? La facilité de crédit. Les taux d’intérêt ont connu une longue période de baisse et restent exceptionnellement bas en Europe. Pour la France, l’inflation en hausse depuis plusieurs années rend désormais la dette encore plus attractive. De plus, les banques acceptent de prêter aux particuliers sur de très longues durées et ne font pas toujours preuve d’une prudence excessive dans leurs autorisations de crédit, malgré la crise financière de 2009. La demande croissante de lignes de crédit est un puissant moteur de la hausse des prix de l’immobilier.
La capacité de financement des ménages s’est également accrue grâce à la hausse des revenus, notamment des hauts salaires. En 2018, conjuguée à la baisse des taux d’intérêt (nets d’inflation) et à l’augmentation de la durée des emprunts, elle a permis à un ménage d’acquérir un appartement à Paris de la même surface qu’en 1996 pour une mensualité quasiment identique. Mais évidemment pas le même nombre et le même montant total de mensualités! Le graphique ci-dessous montre que ce fut rarement le cas. Pour les acquisitions de ces dernières années, c’était un peu moins de m2 pour la même mensualité.
Notons donc que l’avantage des trois facteurs évoqués pour les ménages désireux d’acquérir un logement a été totalement englouti par la hausse du prix au m2. En d’autres termes, ce sont les propriétaires-vendeurs qui ont bénéficié des évolutions macroéconomiques qui grèvent la capacité financière des ménages. Bref, la baisse des taux nets d’inflation, l’allongement de la durée des prêts et des revenus ont largement contribué à la hausse du prix du m2 parisien et ce sont les vendeurs qui en ont profité.
les personnes âgées d’abord
Parmi les autres facteurs fondamentaux du prix au m2, il convient également de mentionner les déterminants démographiques. Lorsque la population augmente la demande, donc le prix augmente, et vice versa. Ce facteur a peu joué pour Paris intra-muros car sa population est restée à peu près stable depuis 40 ans (entre 2,1 et 2,2 millions de Parisiens). D’autre part, elle vieillit. Le baby-boom d’après-guerre est maintenant devenu un boom des grands-parents. Quel lien avec le prix de l’immobilier va me dire? Eh bien, c’est très simple, les acheteurs sont de jeunes professionnels alors que les vendeurs sont des seniors, comme on dit aujourd’hui. Plus la population est âgée, plus il y a de vendeurs et moins il y a d’acheteurs ; par conséquent, l’augmentation de l’âge de la population a un effet dépressif sur les prix des logements.
Au contraire, une proportion plus élevée de jeunes dans la population a pour effet d’augmenter les prix. Deux économistes de l’Université Paris-Dauphine ont bien montré le poids de cette variable dans l’augmentation du prix du m2 en France entre 1996 et 2006, année clé avec l’entrée des premiers baby-boomers dans les années soixante. Notons au passage que la hausse du prix de l’immobilier entraîne un transfert massif de richesse entre générations. La hausse des prix parisiens profite aux personnes âgées (appelons le pain par son nom) et pénalise les jeunes. Vous pouvez avoir des doutes quand vous pensez qu’une partie des ventes se fait au décès et donc que les héritiers en bénéficient. Vous avez raison mais les héritiers ne sont pas très jeunes non plus, l’âge de la succession recule. Seul un quart des héritiers ont moins de 50 ans.
Et l’offre insuffisante de neuf?
Vous serez peut-être également surpris que la construction de logements ne soit pas évoquée dans ce tour d’horizon des fondamentaux du rebond des prix du m2 parisien. Le refrain est bien connu : à Paris comme ailleurs, les prix grimpent car on ne construit pas assez. En réalité, la croissance de la flotte n’a qu’un effet modeste sur les prix. Pour l’ensemble de la France urbaine, tablez sur une baisse de prix d’environ 2% pour une hausse de stock de 1%.
Pour Paris intra-muros nous n’avons pas d’estimation de cette élasticité. En supposant qu’il soit identique et en calculant à la louche, une baisse de prix de 2% en un an signifierait la livraison de 13 000 logements neufs (1% du parc), soit une croissance d’un tiers du nombre annuel de transactions (d’environ 40 000, soit un autre triplement du rythme de construction actuel (environ 4 400 nouveaux logements par an). Un saut spectaculaire à une époque où la capitale se caractérise par une très forte densité de population. Le prix du m2 parisien augmente de 5% Ce n’est pas parce qu’on ne construit pas assez de logements neufs que le prix du m2 s’envole à Paris.
Est-ce la faute des riches étrangers?
Est-ce alors la faute des riches citoyens d’Amérique ou du golfe Persique? Tout d’abord, il faut savoir que les principaux acheteurs étrangers qui achètent à Paris sont… les Italiens. Les acheteurs américains et du Moyen-Orient représentent moins d’un quart des achats effectués par des étrangers. Le grand bataillon des acheteurs parisiens étrangers est composé d’Européens vivant en France. Posons donc la question autrement : les acquéreurs étrangers non-résidents contribuent-ils à la hausse du prix du m2 à Paris? Une question légitime puisqu’ils achètent plus cher et que leur nombre et leur proportion parmi les chalands parisiens ne cesse d’augmenter.
La réponse est oui, mais très modestement selon deux articles académiques (un mémoire de maîtrise de l’École d’économie de Paris et un article publié dans la Collection des articles de recherche d’HEC). Les deux analyses économétriques constatent que le prix au m2 est peu affecté par les acquisitions par des étrangers non-résidents. Attention cependant : cette influence n’est estimée dans ces analyses qu’autour du lieu de la transaction. Il ne prend pas en compte l’effet de propagation d’une hausse de prix au-delà du quartier considéré, c’est-à-dire l’îlot ou le quartier, vers le reste de la commune, puis vers les autres quartiers, puis à nouveau vers les communes au-delà de la rocade., un peu comme les ondulations d’un caillou tombant dans une eau calme. Cependant, cette propagation peut être puissante (voir annexe).
Est-ce assez raisonnable?
Quelle que soit l’ampleur de cet effet, la hausse des prix parisiens est-elle vraiment raisonnable? L’idée économique admise est que l’augmentation du prix de l’immobilier serait favorable à la croissance car elle augmenterait la consommation. C’est le fameux effet de richesse : les propriétaires qui voient qu’ils ont plus d’argent dépensent plus, ce qui génère plus d’investissements et d’emplois. Elle est encore très controversée, notamment parce que la hausse du prix du m2 a aussi l’effet inverse : la part des dépenses consacrée à l’achat de biens immobiliers réduit la part des dépenses consacrées aux autres biens. Par conséquent, le premier effet doit être suffisamment puissant pour vaincre le second. De plus, le sens de la causalité n’est pas clairement établi. Pour certains économistes interrogés sur l’effet des prix à Londres, comme Jan Eeckhout de l’université Pompeu Fabra de Barcelone, c’est plus la croissance du PIB qui tire le prix de l’immobilier que l’inverse.
Quant à la hausse des prix à Paris, je n’ai connaissance d’aucun travail en la matière. J’ai l’impression que c’est assez préjudiciable. Du côté positif, l’effet de richesse devrait être faible car de nombreux propriétaires sont retraités et peu sensibles. Du côté négatif, la hausse des prix fausse l’investissement. La valeur de l’immobilier privé parisien s’élève à 600 milliards d’euros, soit le quart de la capitalisation boursière des entreprises d’Euronext. En revanche, les prix élevés pénalisent les ménages actifs et les éloignent, du fait des temps de trajet, des emplois correspondant mieux à leurs qualifications. Ce sont des gains de productivité perdus et donc moins de croissance.
Mieux voir les effets économiques généraux de la hausse des prix parisiens est d’autant plus important que l’on pourra alors mieux anticiper ceux d’un retournement du marché. Vous connaissez déjà les ressorts : hausse du taux d’intérêt (net d’inflation), resserrement des possibilités de crédit (afin d’allonger la durée des prêts) et baisse de la croissance des revenus. Il est difficile de prédire quand ces tendances émergeront en France. Le seul changement certain est l’augmentation du nombre de personnes âgées et de décès dus à l’arrivée de grands-parents baby-boomers. Cela entraîne mécaniquement une augmentation du nombre de ventes à Paris et donc une baisse du prix au m2, toutes choses égales par ailleurs.
Observons également la baisse des prix déjà amorcée dans plusieurs villes internationales telles que Londres, New York et Genève. Selon le Global Real Estate Bubble Index d’une grande banque suisse, Paris se rapproche dangereusement de la zone à haut risque. Le revers du marché parisien n’attendra pas Saint-Glinglin.
Annexe : La ville concentrique
« L’unité urbaine est plus ou moins parfaite », soulignait le géographe Vidal de La Blache en détectant à Paris l’empreinte d’anneaux concentriques dans lesquels il voyait le reflet de « sa formation harmonieuse ». Des économistes la rejoignent un demi-siècle plus tard lorsqu’ils modélisent la ville. En effet, ils ont opté pour un centre qui réunit production et consommation et des logements concentriques dont le prix est d’autant plus bas qu’ils s’en éloignent. Cet avantage est compensé par un coût de transport plus élevé vers et depuis le centre. Cette ville est parfaite, car par la magie des hypothèses et des équations, le prix d’équilibre des logements est fixé en fonction de la distance, aucun ménage ne souhaite s’installer ailleurs que son adresse actuelle et tout le monde obtient le même niveau de satisfaction.
Ce modèle très simple a bien sûr été complexifié par la suite, notamment en introduisant des ménages aux revenus différents, des préférences individuelles hétérogènes pour les aménités (proximité des musées et des cinémas versus champs et forêts), mais aussi pour le quartier (inclinaison pour l’entre). – soi ou attirance pour la mixité sociale). Introduisant également la localisation et la consommation d’espace des entreprises manufacturières et commerciales qui ne sont plus concentrées dans un point virtuel. Tout cela pour mieux interpréter l’occupation de l’espace et ses gradients comme dans les figures suivantes tirées d’un article de synthèse sur le modèle de ville monocentrique et ses extensions.