Une nouvelle découverte a relancé le débat sur la construction des pyramides égyptiennes. Il y a quelques semaines, l’équipe franco-britannique de la mission archéologique d’Hatnoub, un site situé à environ 300 km au sud du Caire, a mis au jour une rampe d’une trentaine de mètres de long (environ 100 m dans son état d’origine) sur trois mètres de large. Cette rampe est bordée de deux escaliers et de trous pour poteaux (creusés dans l’escalier) dont le diamètre, compris entre 70 et 80 cm de diamètre, est considérable. Il aurait été creusé dans la roche, sans autre coupe.
Jusque-là, les seules rampes découvertes en Égypte dataient de périodes bien postérieures à l’Ancien Empire, lorsque furent construites les grandes pyramides du plateau de Gizeh. Seuls de rares vestiges de cette période ont été retrouvés (par exemple à Meidoum, au sud du Caire). Cela rend la découverte de la mission de Hatnub vraiment remarquable.
Rampe incroyablement raide
Il y a plus. La pente de cette rampe, mesurée à 20%, qui est incroyablement raide, remet en question certaines hypothèses sur les différentes théories de la construction pyramidale. En fait, l’une des principales théories, celle dite de la « rampe droite », ou « rampe avant » (rampe fixée à la pyramide et qui permet aux blocs de circuler) a été, jusqu’à présent, rejetée pour diverses raisons. D’une part, une trop grande inclinaison (ou dévers) rendrait le transport des pierres extrêmement difficile, voire impossible. En revanche, une pente plus faible (entre 5 et 8 %) nécessiterait la construction d’une rampe de plus de 2 km de long, soit des travaux considérables en plus de la pyramide elle-même.
Ce que les archéologues viennent de découvrir à Hatnoub pourrait donc constituer un argument de poids en faveur de l’existence de rampes dépassant de loin la pente maximale prédite jusqu’à présent. Car si les ouvriers pouvaient porter les blocs sur une pente d’au moins 20%, cela permettrait d’envisager que la rampe serait plus courte.
De plus, les trous de poteaux observés près de la rampe semblent indiquer l’utilisation, par les ouvriers, de poteaux pour retenir les blocs extraits de la carrière. Selon Yannis Gourdon, directeur de la mission, les cordes attachaient le traîneau aux poteaux et, « au moyen d’un système de contrepoids, elles empêchaient le traîneau de reculer ».
Il est vrai que la rampe découverte dans la carrière d’Hatnoub avait pour fonction d’entraîner des blocs d’albâtre, une pierre qui n’a pas servi à la construction des pyramides. Mais rien n’empêche qu’une technique similaire soit utilisée pour transporter les éléments nécessaires à la construction de ces gigantesques édifices, et de telles rampes auraient bien pu recevoir un autre type de roche (notamment du granit et du calcaire dans le cas de la pyramide de Khéops). A noter également que de telles rampes sont attestées sur le site du Parthénon, à Athènes, utilisées comme systèmes de descente.
Outre la rampe proprement dite, le site d’Hatnoub a livré plusieurs inscriptions rupestres en écriture hiéroglyphique et hiératique lors de précédentes missions, textes qui nous renseignent sur la vie de la carrière et de ceux qui y travaillaient (jusqu’à 4 000 ouvriers). Certaines de ces inscriptions ornent les murs du système de remorquage découvert et datent du règne de Khéops (vers 2550-2525 av. J.-C.). Si aucune de ces inscriptions ne donne de précisions sur le système même de transport des blocs, elles confirment néanmoins le fait que les Égyptiens ont pu, à partir de la IVe dynastie (env. 2575-2460 av. J.-C.), faire ces rampes et les utiliser à des fins de transport.
Quel impact cette découverte peut-elle avoir sur l’égyptologie en général et, plus précisément, sur le débat autour de la construction des pyramides? Bien qu’il soit encore trop tôt pour tirer des conclusions et que de nombreuses analyses restent à faire, force est de constater que cette structure apporte de nouvelles données d’un grand intérêt.
traîneaux visqueux
D’abord, c’est notre connaissance du fonctionnement même du site d’Hatnoub qui bénéficie de cette découverte : il est désormais possible de décrire avec une relative certitude comment certains blocs extraits de la carrière ont été transportés. Selon les archéologues, la rampe centrale était recouverte de limon sur lequel glissaient les traîneaux tirés par les ouvriers. Sur ces traîneaux (qui peuvent mesurer jusqu’à trois mètres de large selon les dimensions de la rampe) étaient disposés les blocs de pierre (qui eux-mêmes pouvaient mesurer deux à trois mètres de large). Les poteaux situés sur les côtés servaient alors à maintenir le traîneau à l’aide de cordes qui servaient également à le tirer et à l’empêcher de reculer en raison de la forte pente de la rampe.
Les recherches sur la construction des pyramides sont également relancées. Car si cette découverte semble accréditer la théorie dite de la « rampe droite », elle n’exclut nullement l’utilisation, ensemble ou séparément, d’autres techniques. Yannis Gourdon le dit lui-même lorsqu’il considère que « la construction des Grandes Pyramides d’Egypte impliquait plusieurs rampes. Au moins une de chaque côté de la pyramide pour assembler les blocs plus efficacement ». Il est même possible que plusieurs rampes avant aient été utilisées en même temps, une pour chaque face de la pyramide.
De plus, la forte pente mesurée sur la rampe d’Hatnoub invite les spécialistes à revoir les différentes hypothèses concernant les calculs précédemment établis. En fait, diverses théories ont souvent été critiquées sur la base d’une prétendue « impossibilité » de réaliser, au moment de la construction des pyramides, telle ou telle structure, telle ou telle manœuvre. Maintenant qu’il a été établi qu’une pente de 20 % n’était pas prohibitive, de nouvelles suppositions peuvent être faites et les anciennes données mises à jour. Cependant, n’oublions pas qu’il ne s’agit pas d’une preuve définitive de l’utilisation de telles rampes sur le chantier de construction des pyramides, notamment celles de Gizeh.